"Un roman d'une beauté bouleversante" dit le Nouvel Observateur. On lit toujours de façon circonspecte des avis littéraires émanant de magazines quand on n'a pas encore feuilleté l'objet du délit. Je viens de terminer "Les derniers jours de Stephan Zweig" de Laurent Seksik et force est de constater qu'il n'a pas failli au premier avis que j'ai lu sur lui. L'objet même du récit vous chavire puisqu'il s'agit de la narration des six derniers mois de l'écrivain aux côtés de son épouse Lotte Altmann. Seksik tente de retracer entre souvenirs et présent défunt le tourbillon d'émotions qui amènerent l'écrivain le plus doué de sa génération au suicide. Georges Bernanos, Thomas Mann, Rilke, Hermann Hesse : de tous ces noms illustres, il était le fleuron de la littérature d'avant-guerre, admiré par Goering lui-même. Balayés les fastes d'antan où il était célébré par l'intelligentsia européenne, foudroyé l'homme admiré de tous qui rayonnait sur la littérature mondiale, ostracisé le grand humaniste devenu paria, suite à l'arrivée au pouvoir de cet homme dont il prit très tôt conscience qu'il représentait un danger sans précédent pour les Juifs et donc pour lui-même.
"Ce temps-là ne reviendra pas. Jamais plus les flâneries sur le pont Elisabeth, les marches sur la Grande Allée du Prater, l'éclat des dorures du palais Schönbrunn, ni le long déploiement du soleil rougeoyant sur les rives du Danube. La nuit était tombée pour toujours."
De Salzbourg à Petropolis au Brésil, en passant par Londres et New-York, Zweig est devenu progressivement un écrivain de l'exil, pas seulement géographique, mais également humain. Ses derniers mois ressemblent à un long calvaire intérieur dans lequel il a su puiser la force suffisante pour avoir la faiblesse de mettre fin à ses jours, lui qui n'en finissait pas de mourir de son vivant.
"Il se dit se sentir comme une ombre. Il n'avait plus la force de se faire entendre. Trop de voyages, trop d'errances, trop d'illusions perdues, de regrets, de nostalgie, il avait dit tout ce qu'il savait, écrit tous les pieux mensonges qui avaient bercé ses rêves. Il ne voyait nulle part dans son esprit d'où faire surgir une vérité essentielle, ne devinait aucune issue restée encore secrète."
La beauté de ce livre tient dans ce dernier souffle de vie qui nous conduit des derniers travaux de ce chantre de l'humanité à ces fragrances de néant bordant ses lèvres lorsque lui et Lotte absorbèrent du Véronal pour sombrer enfin dans leur nuit.
"Nous avons décidé unis dans l'amour, de ne pas nous quitter".
"Les derniers jours de Stephan Zweig" est un grand roman où le moi d'un écrivain acculé au désespoir par la tyrannie nazie s'épanche sous nos yeux dans des larmes d'encre qui n'en finissent pas de nous hanter.