Mardi Gras
La journée de la femme commençait bien. L’Homme Invisible, ayant refusé de descendre ses poubelles à la célibataire que je suis (« Après tout, c’est ta journée, ma chérie !») m’a laissé tranquillement jeter ma salade du midi pour repartir, fière comme un paladin sur le point d’être adoubé, avec la litière du chat sous le bras, en guise de blason.
A peine remise de ce fâcheux malentendu avec moi-même, j’assistai avec amusement aux premiers abordages intempestifs des flibustiers du web concernant la malencontreuse coïncidence calendaire entre la journée internationale des droits de la femme et Mardi Gras. Ainsi deux copains Twittos, Thierry do Espirito et Christophe Labouisse se sont demandé, fort pertinemment, si, finalement, cette journée n’était pas l’occasion de faire coup triple en célébrant les femmes qui passaient au numérique en Ile de France et qui fêtent Mardi Gras. Je jetterai un voile éminemment pudique sur les blagues regrettables suscitées par l’âpre combat livré par certaines d’entre nous pour faire régime en un jour pareil. J’ai juste rappelé à ces messieurs pour défendre les voix de mes consœurs, injustement bâillonnées par toutes les saloperies qu’elles ingurgitent à longueur de journées, que si l’on fêtait les crêpes c’était justement pour être raccords avec leurs brioches. En résumé, la journée de la femme s’annonçait plutôt bon enfant.
Marine
Et puis, l’ambiance s’est brusquement dégradée. J’appris ainsi que Marine Le Pen, qui doit son statut de N° 1 d’un parti politique à des compétences et un leadership indéniables et non aux remugles d’un népotisme nauséeux et bornoyant, dont je me serais bien passée à sa place (mais que voulez-vous l'amour filial rend borgne), arriverait, selon un sondage Louis Harris (refait), en tête du 1er tour en 2012, avec 24% des intentions de vote devant Strauss-Kahn et Sarkozy. Je sais bien que les petits gars de la Marine ont voulu souquer ferme, en secouant le bastingage amorphe de l’oraison funèbre annoncée que seront les futures élections présidentielles, et qu’ils ont voulu pousser le fameux coup de gueule contre la politique actuelle en brandissant les extrêmes, mais quand même… On se retrouve juste ébaubis d’incompréhension devant ces résultats et on se demande si les autres ont une mémoire. Celle qui vous ramène à certains détails de l’histoire qui, 60 ans après, vous sautent encore au visage pour vous laisser une gueule de bois mémorable, comme au lendemain des résultats d’un premier tour que je n’ai jamais pu oublier. Moi. Et j’ai donc twitté, twitté-é, Marine, pour qu’ils s’abstiennent, afin de chanter les maux bleus pour rendre ses couleurs à une démocratie en passe de devenir diaphane :
« J’ai touché le fond de la piscine
Quand ils votèrent Marine
Tous déchirés, au secours
Pas voulu les absoudre »
J’allais jeter l’ancre sur le sujet Marine quand j’appris médusée (si ce n'est pas un comble pour une pieuvre !) qu’elle se rendrait à Lampedusa pour infliger une ultime galère aux clandestins fraîchement débarqués de leur traversée harrassante. Il est certain qu’à sa vue, aussi gironde que l’estuaire du même nom, ceux qui pourront encore compter sur leurs forces moribondes opéreront, sur le champ, le trajet de retour vers leur pays natal redevenu soudainement hospitalier à leurs yeux, tandis que les autres, que leur tentative d’exil aura rendus exsangues, préfèreront passer la rame à gauche, en abandonnant leurs corps alanguis à la vindicte des algues et des embruns.
J’allais saluer la mémoire de ces futurs naufragés de l’amer et tourner la page Marine Le Pen, lorsque j’appris effarée que, non contente d’achever au cours d’une apparition médiatique inopportune les réfugiés de Lampedusa, elle souhaitait faire une émission sur Radio J : une façon comme une autre de faire le « blackout » -son sport quotidien- en restant facho jusqu’au bout des ondes.
J’étais en train de me masser les tempes des deux tentacules à la recherche d’un moyen de dissiper ce mal de crâne fascisant, quand, pastèque sur le gâteau, le Nobel de la plus grosse connerie de la semaine atterrit tranquillement sur ma timeline, sans crier gare.
O sombres hérauts de l’amer...
Hier, l’ancienne porte-parole de l’UMP, Chantal Brunel dont la logomachie verbale n’a d’égale que le nom, à quelques nuances orthographiques près, a provoqué un véritable tollé en jetant un pavé d’une rare imbécilité dans le marigot politique déjà faisandé par la tranquille montée en puissance de l’extrême droite :
« Il n’est pas normal que l’on ne rassure pas les Français sur toutes les populations qui viennent de la Méditerranée. Après tout, remettons-les dans les bateaux. »
Cette phrase d’une érudition langagière époustouflante n’est pas sans me faire penser que ce n’est plus la journée de la femme à laquelle nous assistons, mais celle de la Pintade avec un grand P que nous aura dévoilée Chantal entre deux logorrhées indigestes, et malheureusement, gageons que ses propos inutiles, inaugurant une voie royale aux billevesées écœurantes du FN, nous y fasse perdre beaucoup de plumes. Soit la montée récente de l’acrimonie dans les sondages donne des ailes à certains qui ne redoutent plus de laisser parler le pire, soit Nicolas, sous ses airs de coq de combat, ne sait plus museler sa basse-cour et peut donc se préparer à la dégringolade annoncée pour 2012 par Dirty Harris (marque déposée par Guy Birenbaum).
La femme que j’aurais tant aimé voir fêtée
Alors j’en eus assez de cette journée de l’infâme et j’ai voulu la retrouver cette femme que j’aime tant. Je l’ai attrapée sur une étagère et j’ai effeuillé ses pages tout doucement pour tenter de retrouver en elle ce qui faisait ma dignité d’être femme. Même lors de mes lendemains recroquevillés sur eux-mêmes.
Et j’ai cherché dans ses mots toute l’acuité de la beauté d’une pensée, lorsqu’elle est savamment travaillée avant d’être déposée dans l’écrin de nos consciences. Cette beauté que je retrouve parfois au détour de pages ou de conversations avec celles qui se reconnaîtront.
Alors pour célébrer le requiem de certaines, je continuerai à chanter l’éternité des autres et tenterai, à mon humble échelle, de reproduire ce "mot d’elle" :
« On ne naît pas femme : on le devient »
Simone de Beauvoir – Le deuxième sexe